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LES DIRECTIONS DE L’ÉVOLUTION

partant innée. Mais cette intelligence innée, quoiqu’elle soit une faculté de connaître, ne connaît aucun objet en particulier. Quand le nouveau-né cherche pour la première fois le sein de sa nourrice, témoignant ainsi qu’il a la connaissance (inconsciente, sans doute) d’une chose qu’il n’a jamais vue, on dira, précisément parce que la connaissance innée est ici celle d’un objet déterminé, que c’est de l’instinct et non pas de l’intelligence. L’intelligence n’apporte donc la connaissance innée d’aucun objet. Et pourtant, si elle ne connaissait rien naturellement, elle n’aurait rien d’inné. Que peut-elle donc connaître, elle qui ignore toutes choses ? — À côté des choses, il y a les rapports. L’enfant qui vient de naître ne connaît, en tant qu’intelligent, ni des objets déterminés ni une propriété déterminée d’aucun objet ; mais, le jour où l’on appliquera devant lui une épithète à un substantif, il comprendra tout de suite ce que cela veut dire. La relation de l’attribut au sujet est donc saisie par lui naturellement. Et l’on en dirait autant de la relation générale que le verbe exprime, relation si immédiatement conçue par l’esprit que le langage peut la sous-entendre, comme il arrive dans les langues rudimentaires qui n’ont pas de verbe. L’intelligence fait donc naturellement usage des rapports d’équivalent à équivalent, de contenu à contenant, de cause à effet, etc., qu’implique toute phrase où il y a un sujet, un attribut, un verbe, exprimé ou sous-entendu. Peut-on dire qu’elle ait la connaissance innée de chacun de ces rapports en particulier ? C’est affaire aux logiciens de chercher si ce sont là autant de relations irréductibles, ou si l’on ne pourrait pas les résoudre en relations plus générales encore. Mais, de quelque manière qu’on effectue l’analyse de la pensée, on aboutira toujours a un ou à plusieurs cadres généraux,