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NATURE DE L’INSTINCT

quelles manœuvres merveilleusement combinées les Orchidées exécutent pour se faire féconder par les Insectes[1], comment ne pas penser à autant d’instincts ?

Cela ne veut pas dire qu’il faille renoncer tout à fait à la thèse des néo-darwinistes, non plus qu’à celle des néo-lamarckiens. Les premiers ont sans doute raison quand ils veulent que l’évolution se fasse de germe à germe plutôt que d’individu à individu, les seconds quand il leur arrive de dire qu’à l’origine de l’instinct il y a un effort (encore que ce soit tout autre chose, croyons-nous, qu’un effort intelligent). Mais ceux-là ont probablement tort quand ils font de l’évolution de l’instinct une évolution accidentelle, et ceux-ci quand ils voient dans l’effort d’où l’instinct procède un effort individuel. L’effort par lequel une espèce modifie ses instincts et se modifie aussi elle-même doit être chose bien plus profonde, et qui ne dépend pas uniquement des circonstances ni des individus. Il ne dépend pas uniquement de l’initiative des individus, quoique les individus y collaborent, et il n’est pas purement accidentel, quoique l’accident y tienne une large place.

Comparons entre elles, en effet, les diverses formes du même instinct dans diverses espèces d’Hyménoptères. L’impression que nous avons n’est pas toujours celle que nous donnerait une complexité croissante obtenue par des éléments ajoutés successivement les uns aux autres, ou une série ascendante de dispositifs rangés, pour ainsi dire, le long d’une échelle. Nous pensons plutôt, dans bien des cas au moins, à une circonférence, des divers points de laquelle ces diverses variétés seraient parties, toutes

  1. Voir les deux ouvrages de Darwin : Les plantes grimpantes, trad. Gordon, Paris, 1890, et La fécondation des Orchidées par les Insectes, trad. Rérolle, Paris, 1892.