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LES DIRECTIONS DE L'ÉVOLUTION

effet, si l’intelligence est accordée sur la matière et l’intuition sur la vie, il faudra les presser l’une et l’autre pour extraire d’elles la quintessence de leur objet ; la métaphysique sera donc suspendue à la théorie de la connaissance. Mais, d’autre part, si la conscience s’est scindée ainsi en intuition et intelligence, c’est par la nécessité de s’appliquer sur la matière en même temps que de suivre le courant de la vie. Le dédoublement de la conscience tiendrait ainsi à la double forme du réel, et la théorie de la connaissance devrait se suspendre à la métaphysique. À la vérité, chacune de ces deux recherches conduit à l’autre ; elles font cercle, et le cercle ne peut avoir pour centre que l’étude empirique de l’évolution. C’est seulement en regardant la conscience courir à travers la matière, s’y perdre et s’y retrouver, se diviser et se reconstituer, que nous formerons une idée de l’opposition des deux termes entre eux, comme aussi, peut-être, de leur origine commune. Mais, d’autre part, en appuyant sur cette opposition des deux éléments et sur cette communauté d’origine, nous dégagerons sans doute plus clairement le sens de l’évolution elle-même.

Tel sera l’objet de notre prochain chapitre. Mais déjà les faits que nous venons de passer en revue nous suggéreraient l’idée de rattacher la vie soit à la conscience même, soit à quelque chose qui y ressemble.

Dans toute l’étendue du règne animal, disions-nous, la conscience apparaît comme proportionnelle à la puissance de choix dont l’être vivant dispose. Elle éclaire la zone de virtualités qui entoure l’acte. Elle mesure l’écart entre ce qui se fait et ce qui pourrait se faire. À l’envisager du dehors, on pourrait donc la prendre pour un simple auxiliaire de l’action, pour une lumière que l’action allume, étincelle fugitive qui jaillirait du frottement de l’action