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VIE ET CONSCIENCE

réelle contre les actions possibles. Mais il faut remarquer que les choses se passeraient exactement de même si la conscience, au lieu d’être effet, était cause. On pourrait supposer que, même chez l’animal le plus rudimentaire, la conscience couvre, en droit, un champ énorme, mais qu’elle est comprimée, en fait, dans une espèce d’étau : chaque progrès des centres nerveux, en donnant à l’organisme le choix entre un plus grand nombre d’actions, lancerait un appel aux virtualités capables d’entourer le réel, desserrerait ainsi l’étau, et laisserait plus librement passer la conscience. Dans cette seconde hypothèse, comme dans la première, la conscience serait bien l’instrument de l’action ; mais il serait encore plus vrai de dire que l’action est l’instrument de la conscience, car la complication de l’action avec elle-même et la mise aux prises de l’action avec l’action seraient, pour la conscience emprisonnée, le seul moyen possible de se libérer. Comment choisir entre les deux hypothèses ? Si la première était vraie, la conscience dessinerait exactement, à chaque instant, l’état du cerveau ; le parallélisme (dans la mesure où il est intelligible) serait rigoureux entre l’état psychologique et l’état cérébral. Au contraire, dans la seconde hypothèse, il y aurait bien solidarité et interdépendance entre le cerveau et la conscience, mais non pas parallélisme : plus le cerveau se compliquera, augmentant ainsi le nombre des actions possibles entre lesquelles l’organisme a le choix, plus la conscience devra déborder son concomitant physique. Ainsi, le souvenir d’un même spectacle auquel ils auront assisté modifiera probablement de la même manière un cerveau de chien et un cerveau d’homme, si la perception a été la même ; pourtant le souvenir devra être tout autre chose dans une conscience d’homme que dans une conscience de chien.