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LES DIRECTIONS DE L’ÉVOLUTION

suite fermé. Au contraire, la conscience se déterminant en intelligence, c’est-à-dire se concentrant d’abord sur la matière, semble ainsi s’extérioriser par rapport à elle-même ; mais, justement parce qu’elle s’adapte aux objets du dehors, elle arrive à circuler au milieu d’eux, à tourner les barrières qu’ils lui opposent, à élargir indéfiniment son domaine. Une fois libérée, elle peut d’ailleurs se replier à l’intérieur, et réveiller les virtualités d’intuition qui sommeillent encore en elle.

De ce point de vue, non seulement la conscience apparaît comme le principe moteur de l’évolution, mais encore, parmi les êtres conscients eux-mêmes, l’homme vient occuper une place privilégiée. Entre les animaux et lui, il n’y a plus une différence de degré, mais de nature. En attendant que cette conclusion se dégage de notre prochain chapitre, montrons comment nos précédentes analyses la suggèrent.

C’est un fait digne de remarque que l’extraordinaire disproportion des conséquences d’une invention à l’invention elle-même. Nous disions que l’intelligence est modelée sur la matière et qu’elle vise d’abord à la fabrication. Mais fabrique-t-elle pour fabriquer, ou ne poursuivrait-elle pas, involontairement et même inconsciemment, tout autre chose ? Fabriquer consiste à informer la matière, à l’assouplir et à la plier, à la convertir en instrument afin de s’en rendre maître. C’est cette maîtrise qui profite à l’humanité, bien plus encore que le résultat matériel de l’invention même. Si nous retirons un avantage immédiat de l’objet fabriqué, comme pourrait le faire un animal intelligent, si même cet avantage est tout ce que l’inventeur recherchait, il est peu de chose en comparaison des idées nouvelles, des sentiments nouveaux que l’invention peut faire surgir de tous côtés, comme si