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MÉTHODE À SUIVRE

actes et attitudes qui sortent d’elle, attirée par eux au dehors, s’extériorisant ainsi par rapport à elle-même, elle joue sans doute les représentations plutôt qu’elle ne les pense ; du moins ce jeu dessine-t-il déjà en gros le schéma de l’intelligence humaine[1]. Expliquer l’intelligence de l’homme par celle de l’animal consiste donc simplement à développer en humain un embryon d’humanité. On montre comment une certaine direction a été suivie de plus en plus loin par des êtres de plus en plus intelligents. Mais, du moment qu’on pose la direction, on se donne l’intelligence.

On se la donne aussi, comme on se donne du même coup la matière, dans une cosmogonie comme celle de Spencer. On nous montre la matière obéissant à des lois, les objets se reliant aux objets et les faits aux faits par des rapports constants, la conscience recevant l’empreinte de ces rapports et de ces lois, adoptant ainsi la configuration générale de la nature et se déterminant en intelligence. Mais comment ne pas voir qu’on suppose l’intelligence dès qu’on pose les objets et les faits ? A priori, en dehors de toute hypothèse sur l’essence de la matière, il est évident que la matérialité d’un corps ne s’arrête pas au point où nous le touchons. Il est présent partout où son influence se fait sentir. Or, sa force attractive, pour ne parler que d’elle, s’exerce sur le soleil, sur les planètes, peut-être sur l’univers entier. Plus la physique avance, plus elle efface d’ailleurs l’individualité des corps et même des particules en lesquelles l’imagination scientifique commençait par les décomposer ; corps et corpuscules tendent à se fondre dans une interaction

  1. Nous avons développé ce point dans Matière et Mémoire, chap. II et III, notamment pages 78-80 et 169-186.