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MÉTHODE À SUIVRE

se perfectionner, est la philosophie que nous réclamons. L’intelligence humaine, telle que nous nous la représentons, n’est point du tout celle que nous montrait Platon dans l’allégorie de la caverne. Elle n’a pas plus pour fonction de regarder passer des ombres vaines que de contempler, en se retournant derrière elle, l’astre éblouissant. Elle a autre chose à faire. Attelés, comme des bœufs de labour, à une lourde tâche, nous sentons le jeu de nos muscles et de nos articulations, le poids de la charrue et la résistance du sol : agir et se savoir agir, entrer en contact avec la réalité et même la vivre, mais dans la mesure seulement où elle intéresse l’œuvre qui s’accomplit et le sillon qui se creuse, voilà la fonction de l’intelligence humaine. Pourtant un fluide bienfaisant nous baigne, où nous puisons la force même de travailler et de vivre. De cet océan de vie, où nous sommes immergés, nous aspirons sans cesse quelque chose, et nous sentons que notre être, ou du moins l’intelligence qui le guide, s’y est formé par une espèce de solidification locale. La philosophie ne peut être qu’un effort pour se fondre à nouveau dans le tout. L’intelligence, se résorbant dans son principe, revivra à rebours sa propre genèse. Mais l’entreprise ne pourra plus s’achever tout d’un coup ; elle sera nécessairement collective et progressive. Elle consistera dans un échange d’impressions qui, se corrigeant entre elles et se superposant aussi les unes aux autres, finiront par dilater en nous l’humanité et par obtenir qu’elle se transcende elle-même.


Mais cette méthode a contre elle les habitudes les plus invétérées de l’esprit. Elle suggère tout de suite l’idée d’un cercle vicieux. En vain, nous dira-t-on, vous prétendez aller plus loin que l’intelligence : comment le ferez-vous, sinon avec l’intelligence même ? Tout ce