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DE LA SIGNIFICATION DE LA VIE

d’intensité dans la seconde. Une fois ce principe admis, l’intelligence devient aussi vaste que le réel, car il est incontestable que ce qu’il y a de géométrique dans les choses est entièrement accessible à l’intelligence humaine ; et, si la continuité est parfaite entre la géométrie et le reste, tout le reste devient également intelligible, également intelligent. Tel est le postulat de la plupart des systèmes. On s’en convaincra sans peine en comparant entre elles des doctrines qui paraissent n’avoir aucun point de contact entre elles, aucune commune mesure, celles d’un Fichte et d’un Spencer par exemple, — deux noms que le hasard vient de nous faire rapprocher l’un de l’autre.

Au fond de ces spéculations il y a donc les deux convictions (corrélatives et complémentaires) que la nature est une et que l’intelligence a pour fonction de l’embrasser en entier. La faculté de connaître étant supposée coextensive à la totalité de l’expérience, il ne peut plus être question de l’engendrer. On se la donne et on s’en sert, comme on se sert de la vue pour embrasser l’horizon. Il est vrai qu’on différera d’avis sur la valeur du résultat : pour les uns, c’est la réalité même que l’intelligence étreint, pour les autres ce n’en est que le fantôme. Mais, fantôme ou réalité, ce que l’intelligence saisit est censé être la totalité du saisissable.

Par là s’explique la confiance exagérée de la philosophie dans les forces de l’esprit individuel. Qu’elle soit dogmatique ou critique, qu’elle consente à la relativité de notre connaissance ou qu’elle prétende s’installer dans l’absolu, une philosophie est généralement l’œuvre d’un philosophe, une vision unique et globale du tout. Elle est à prendre ou à laisser.

Plus modeste, seule capable aussi de se compléter et de