Page:Bergson - L’Évolution créatrice.djvu/236

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
218
DE LA SIGNIFICATION DE LA VIE

Dans cette réalité nous nous replacerons de plus en plus complètement, à mesure que nous nous efforcerons davantage de transcender l’intelligence pure.


Concentrons-nous donc sur ce que nous avons, tout à la fois, de plus détaché de l’extérieur et de moins pénétré d’intellectualité. Cherchons, au plus profond de nous-mêmes, le point où nous nous sentons le plus intérieurs à notre propre vie. C’est dans la pure durée que nous nous replongeons alors, une durée où le passé, toujours en marche, se grossit sans cesse d’un présent absolument nouveau. Mais, en même temps, nous sentons se tendre, jusqu’à sa limite extrême, le ressort de notre volonté. Il faut que, par une contraction violente de notre personnalité sur elle-même, nous ramassions notre passé qui se dérobe, pour le pousser, compact et indivisé, dans un présent qu’il créera en s’y introduisant. Bien rares sont les moments où nous nous ressaisissons nous-mêmes à ce point : ils ne font qu’un avec nos actions vraiment libres. Et, même alors, nous ne nous tenons jamais tout entiers. Notre sentiment de la durée, je veux dire la coïncidence de notre moi avec lui-même, admet des degrés. Mais, plus le sentiment est profond et la coïncidence complète, plus la vie où ils nous replacent absorbe l’intellectualité en la dépassant. Car l’intelligence a pour fonction essentielle de lier le même au même, et il n’y a d’entièrement adaptables au cadre de l’intelligence que les faits qui se répètent. Or, sur les moments réels de la durée réelle l’intelligence trouve sans doute prise après coup, en reconstituant le nouvel état avec une série de vues prises du dehors sur lui et qui ressemblent autant que possible au déjà connu : en ce sens, l’état contient de l’intellectualité « en puissance », pour ainsi dire. Il la déborde cepen-