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SCIENCE ET PHILOSOPHIE

accident, — chance ou convention, comme on voudra, — que la science obtient sur le vivant une prise analogue à celle qu’elle a sur la matière brute. Ici l’application des cadres de l’entendement n’est plus naturelle. Nous ne voulons pas dire qu’elle ne soit plus légitime, au sens scientifique du mot. Si la science doit étendre notre action sur les choses, et si nous ne pouvons agir qu’avec la matière inerte pour instrument, la science peut et doit continuer à traiter le vivant comme elle traitait l’inerte. Mais il sera entendu que, plus elle s’enfonce dans les profondeurs de la vie, plus la connaissance qu’elle nous fournit devient symbolique, relative aux contingences de l’action. Sur ce nouveau terrain la philosophie devra donc suivre la science, pour superposer à la vérité scientifique une connaissance d’un autre genre, qu’on pourra appeler métaphysique. Dès lors toute notre connaissance, scientifique ou métaphysique, se relève. Dans l’absolu nous sommes, nous circulons et vivons. La connaissance que nous en avons est incomplète, sans doute, mais non pas extérieure ou relative. C’est l’être même, dans ses profondeurs, que nous atteignons par le développement combiné et progressif de la science et de la philosophie.

En renonçant ainsi à l’unité factice que l’entendement impose du dehors à la nature, nous en retrouverons peut-être l’unité vraie, intérieure et vivante. Car l’effort que nous donnons pour dépasser le pur entendement nous introduit dans quelque chose de plus vaste, où notre entendement se découpe et dont il a dû se détacher. Et, comme la matière se règle sur l’intelligence, comme il y a entre elles un accord évident, on ne peut engendrer l’une sans faire la genèse de l’autre. Un processus identique a dû tailler en même temps matière et intelligence dans une étoffe qui les contenait toutes deux.