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DE LA SIGNIFICATION DE LA VIE

réalité même, pourvu qu’elle ne sorte pas de son domaine propre, qui est la matière inerte.

La connaissance scientifique, ainsi envisagée, s’élève. En revanche, la théorie de la connaissance devient une entreprise infiniment difficile, et qui passe les forces de la pure intelligence. Il ne suffit plus, en effet, de déterminer, par une analyse conduite avec prudence, les catégories de la pensée, il s’agit de les engendrer. En ce qui concerne l’espace, il faudrait, par un effort sui generis de l’esprit, suivre la progression ou plutôt la régression de l’extra-spatial se dégradant en spatialité. En nous plaçant d’abord aussi haut que possible dans notre propre conscience pour nous laisser ensuite peu à peu tomber, nous avons bien le sentiment que notre moi s’étend en souvenirs inertes extériorisés les uns par rapport aux autres, au lieu de se tendre en un vouloir indivisible et agissant. Mais ce n’est là qu’un commencement. Notre conscience, en esquissant le mouvement, nous en montre la direction et nous fait entrevoir la possibilité pour lui de se continuer jusqu’au bout ; elle ne va pas aussi loin. En revanche, si nous considérons la matière qui nous paraît d’abord coïncider avec l’espace, nous trouvons que, plus notre attention se fixe sur elle, plus les parties que nous disions juxtaposées entrent les unes dans les autres, chacune d’elles subissant l’action du tout qui lui est, par conséquent, présent en quelque manière. Ainsi, quoiqu’elle se déploie dans le sens de l’espace, la matière n’y aboutit pas tout à fait : d’où l’on peut conclure qu’elle ne fait que continuer beaucoup plus loin le mouvement que la conscience pouvait esquisser en nous à l’état naissant. Nous tenons donc les deux bouts de la chaîne, quoique nous n’arrivions pas à saisir les autres anneaux. Nous échapperont-ils toujours ? Il faut considérer que la philosophie,