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L’ORDRE GÉOMÉTRIQUE

telle que nous la définissons, n’a pas encore pris conscience complète d’elle-même. La physique comprend son rôle quand elle pousse la matière dans le sens de la spatialité ; mais la métaphysique a-t-elle compris le sien quand elle emboîtait purement et simplement le pas de la physique, avec le chimérique espoir d’aller plus loin dans la même direction ? Sa tâche propre ne serait-elle pas, au contraire, de remonter la pente que la physique descend, de ramener la matière à ses origines, et de constituer progressivement une cosmologie qui serait, si l’on peut parler ainsi, une psychologie retournée ? Tout ce qui apparaît comme positif au physicien et au géomètre deviendrait, de ce nouveau point de vue, interruption ou interversion de la positivité vraie, qu’il faudrait définir en termes psychologiques.

Certes, si l’on considère l’ordre admirable des mathématiques, l’accord parfait des objets dont elles s’occupent, la logique immanente aux nombres et aux figures, la certitude où nous sommes, quelles que soient la diversité et la complexité de nos raisonnements sur le même sujet, de retomber toujours sur la même conclusion, on hésitera à voir dans des propriétés d’apparence aussi positive un système de négations, l’absence plutôt que la présence d’une réalité vraie. Mais il ne faut pas oublier que notre intelligence, qui constate cet ordre et qui l’admire, est dirigée dans le sens même du mouvement qui aboutit à la matérialité et à la spatialité de son objet. Plus, en analysant son objet, elle y met de complication, plus compliqué est l’ordre qu’elle y trouve. Et cet ordre et cette complication lui font nécessairement l’effet d’une réalité positive, étant de même sens qu’elle.

Quand un poète me lit ses vers, je puis m’intéresser assez à lui pour entrer dans sa pensée, m’insérer dans ses