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DE LA SIGNIFICATION DE LA VIE

morales. D’une proposition vérifiée par les faits on ne peut tirer ici des conséquences vérifiables que jusqu’à un certain point, dans une certaine mesure. Bien vite il faut en appeler au bon sens, c’est-à-dire à l’expérience continue du réel, pour infléchir les conséquences déduites et les recourber le long des sinuosités de la vie. La déduction ne réussit dans les choses morales que métaphoriquement, pour ainsi dire, et dans l’exacte mesure où le moral est transposable en physique, je veux dire traduisible en symboles spatiaux. La métaphore ne va jamais bien loin, pas plus que la courbe ne se laisse longtemps confondre avec sa tangente. Comment n’être pas frappé de ce qu’il y a d’étrange, et même de paradoxal, dans cette faiblesse de la déduction ? Voici une pure opération de l’esprit, s’accomplissant par la seule force de l’esprit. Il semble que si, quelque part, elle devrait se sentir chez elle et évoluer à son aise, c’est parmi les choses de l’esprit, c’est dans le domaine de l’esprit. Point du tout, c’est là qu’elle est tout de suite au bout de son rouleau. Au contraire, en géométrie, en astronomie, en physique, alors que nous avons affaire à des choses extérieures à nous, la déduction est toute puissante ! L’observation et l’expérience sont sans doute nécessaires ici pour arriver au principe, c’est-à-dire pour découvrir l’aspect sous lequel il fallait envisager les choses ; mais, à la rigueur, avec beaucoup de chance, on eût pu le trouver tout de suite ; et, dès qu’on possède ce principe, on en tire assez loin des conséquences que l’expérience vérifiera toujours. Que conclure de là, sinon que la déduction est une opération réglée sur les démarches de la matière, calquée sur les articulations mobiles de la matière, implicitement donnée, enfin, avec l’espace qui sous-tend la matière ? Tant qu’elle roule dans l’espace ou dans le temps spatialisé, elle n’a