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GÉOMÉTRIE ET INDUCTION

qu’à se laisser aller. C’est la durée qui met des bâtons dans les roues.

La déduction ne va donc pas sans une arrière-pensée d’intuition spatiale. Mais on en dirait autant de l’induction. Certes, il n’est pas nécessaire de penser en géomètre, ni même de penser du tout, pour attendre des mêmes conditions la répétition du même fait. La conscience de l’animal fait déjà ce travail, et, indépendamment de toute conscience, le corps vivant lui-même est déjà construit pour extraire des situations successives où il se trouve les similitudes qui l’intéressent, et pour répondre ainsi aux excitations par des réactions appropriées. Mais il y a loin d’une attente et d’une réaction machinales du corps à l’induction proprement dite, qui est une opération intellectuelle. Celle-ci repose sur la croyance qu’il y a des causes et des effets, et que les mêmes effets suivent les mêmes causes. Maintenant, si l’on approfondit cette double croyance, voici ce qu’on trouve. Elle implique d’abord que la réalité est décomposable en groupes, qu’on peut pratiquement tenir pour isolés et indépendants. Si je fais bouillir de l’eau dans une casserole placée sur un réchaud, l’opération et les objets qui la supportent sont, en réalité, solidaires d’une foule d’autres objets et d’une foule d’autres opérations : de proche en proche, on trouverait que notre système solaire tout entier est intéressé à ce qui s’accomplit en ce point de l’espace. Mais, dans une certaine mesure, et pour le but spécial que je poursuis, je puis admettre que les choses se passent comme si le groupe eau-casserole-réchaud allumé était un microcosme indépendant. Voilà ce que j’affirme d’abord. Maintenant, quand je dis que ce microcosme se comportera toujours de la même manière, que la chaleur provoquera nécessairement, au bout d’un certain temps, l’ébullition de l’eau,