Page:Bergson - L’Évolution créatrice.djvu/301

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
283
SIGNIFICATION DE LA VIE

effectue la division incomplètement, en laissant entre les deux moitiés une communication protoplasmique, on les voit exécuter, chacune de son côté, des mouvements parfaitement synergiques, de sorte qu’il suffit ici d’un fil maintenu ou coupé pour que la vie affecte la forme sociale ou la forme individuelle. Ainsi, dans des organismes rudimentaires faits d’une cellule unique, nous constatons déjà que l’individualité apparente du tout est le composé d’un nombre non défini d’individualités virtuelles, virtuellement associées. Mais, de bas en haut de la série des vivants, la même loi se manifeste. Et c’est ce que nous exprimons en disant qu’unité et multiplicité sont des catégories de la matière inerte, que l’élan vital n’est ni unité ni multiplicité pures, et que si la matière à laquelle il se communique le met en demeure d’opter pour l’une des deux, son option ne sera jamais définitive : il sautera indéfiniment de l’une à l’autre. L’évolution de la vie dans la double direction de l’individualité et de l’association n’a donc rien d’accidentel. Elle tient à l’essence même de la vie.

Essentielle aussi est la marche à la réflexion. Si nos analyses sont exactes, c’est la conscience, ou mieux la supraconscience, qui est à l’origine de la vie. Conscience ou supraconscience est la fusée dont les débris éteints retombent en matière ; conscience encore est ce qui subsiste de la fusée même, traversant les débris et les illuminant en organismes. Mais cette conscience, qui est une exigence de création, ne se manifeste à elle-même que là où la création est possible. Elle s’endort quand la vie est condamnée à l’automatisme ; elle se réveille dès que renaît la possibilité d’un choix. C’est pourquoi, dans les organismes dépourvus de système nerveux, elle varie en raison du pouvoir de locomotion et de déformation dont l’organisme