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SIGNIFICATION DE L’ÉVOLUTION

donc se passer comme si la conscience jaillissait du cerveau, et comme si le détail de l’activité consciente se modelait sur celui de l’activité cérébrale. En réalité, la conscience ne jaillit pas du cerveau ; mais cerveau et conscience se correspondent parce qu’ils mesurent également, l’un par la complexité de sa structure et l’autre par l’intensité de son réveil, la quantité de choix dont l’être vivant dispose.

Précisément parce qu’un état cérébral exprime simplement ce qu’il y a d’action naissante dans l’état psychologique correspondant, l’état psychologique en dit plus long que l’état cérébral. La conscience d’un être vivant, comme nous avons essayé de le prouver ailleurs, est solidaire de son cerveau dans le sens où un couteau pointu est solidaire de sa pointe : le cerveau est la pointe acérée par où la conscience pénètre dans le tissu compact des événements, mais il n’est pas plus coextensif à la conscience que la pointe ne l’est au couteau. Ainsi, de ce que deux cerveaux, comme celui du singe et celui de l’homme, se ressemblent beaucoup, on ne peut pas conclure que les consciences correspondantes soient comparables ou commensurables entre elles.

Mais ils se ressemblent peut-être moins qu’on ne le suppose, Comment n’être pas frappé du fait que l’homme est capable d’apprendre n’importe quel exercice, de fabriquer n’importe quel objet, enfin d’acquérir n’importe quelle habitude motrice, alors que la faculté de combiner des mouvements nouveaux est strictement limitée chez l’animal le mieux doué, même chez le singe ? La caractéristique cérébrale de l’homme est là. Le cerveau humain est fait, comme tout cerveau, pour monter des mécanismes moteurs et pour nous laisser choisir parmi eux, à un instant quelconque, celui que nous mettrons en mouve-