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MÉCANISME ET COMCEPTUALISME

En quoi nous avons à la fois tort et raison : tort, puisque la négation ne saurait s’objectiver dans ce qu’elle a de négatif ; raison cependant, en ce que la négation d’une chose implique l’affirmation latente de son remplacement par une autre chose, qu’on laisse de côté systématiquement. Mais la forme négative de la négation bénéficie de l’affirmation qui est au fond d’elle : chevauchant sur le corps de réalité positive auquel il est attaché, ce fantôme s’objective. Ainsi se forme l’idée de vide ou de néant partiel, une chose se trouvant remplacée non plus par une autre chose, mais par un vide qu’elle laisse, c’est-à-dire par la négation d’elle-même. Comme d’ailleurs cette opération se pratique sur n’importe quelle chose, nous la supposons s’effectuant sur chaque chose tour à tour, et enfin effectuée sur toutes choses en bloc. Nous obtenons ainsi l’idée du « néant absolu ». Que si maintenant nous analysons cette idée de Rien, nous trouvons qu’elle est, au fond, l’idée de Tout, avec, en plus, un mouvement de l’esprit qui saute indéfiniment d’une chose à une autre, refuse de se tenir en place, et concentre toute son attention sur ce refus en ne déterminant jamais sa position actuelle que par rapport à celle qu’il vient de quitter. C’est donc une représentation éminemment compréhensive et pleine, aussi pleine et compréhensive que l’idée de Tout, avec laquelle elle a la plus étroite parenté.

Comment opposer alors l’idée de Rien à celle de Tout ? Ne voit-on pas que c’est opposer du plein à du plein, et que la question de savoir « pourquoi quelque chose existe » est par conséquent une question dépourvue de sens, un pseudo-problème soulevé autour d’une pseudo-idée ? Il faut pourtant que nous disions encore une fois pourquoi ce fantôme de problème hante l’esprit avec une telle obstination. En vain nous montrons que, dans la représen-