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MÉCANISME ET CONCEPTUALISME

comme celui de lever le bras. Où en serions-nous si nous avions à imaginer par avance toutes les contractions et tensions élémentaires qu’il implique, ou même à les percevoir, une à une, pendant qu’elles s’accomplissent ? L’esprit se transporte tout de suite au but, c’est-à-dire à la vision schématique et simplifiée de l’acte supposé accompli. Alors, si aucune représentation antagoniste ne neutralise l’effet de la première, d’eux-mêmes les mouvements appropriés viennent remplir le schéma, aspirés, en quelque sorte, par le vide de ses interstices. L’intelligence ne représente donc à l’activité que des buts à atteindre, c’est-à-dire des points de repos. Et, d’un but atteint à un autre but atteint, d’un repos à un repos, notre activité se transporte par une série de bonds, pendant lesquels notre conscience se détourne le plus possible du mouvement s’accomplissant pour ne regarder que l’image anticipée du mouvement accompli.

Or, pour qu’elle se représente, immobile, le résultat de l’acte qui s’accomplit, il faut que l’intelligence aperçoive, immobile aussi, le milieu où ce résultat s’encadre. Notre activité est insérée dans le monde matériel. Si la matière nous apparaissait comme un perpétuel écoulement, à aucune de nos actions nous n’assignerions un terme. Nous sentirions chacune d’elles se dissoudre au fur et à mesure de son accomplissement, et nous n’anticiperions pas sur un avenir toujours fuyant. Pour que notre activité saute d’un acte à un acte, il faut que la matière passe d’un état à un état, car c’est seulement dans un état du monde matériel que l’action peut insérer un résultat et par conséquent s’accomplir. Mais est-ce bien ainsi que se présente la matière ?

A priori, on peut présumer que notre perception s’arrange pour prendre la matière de ce biais. Organes senso-