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LE DEVENIR ET LA FORME

riels et organes moteurs sont en effet coordonnés les uns aux autres. Or, les premiers symbolisent notre faculté de percevoir, comme les seconds notre faculté d’agir. L’organisme nous révèle ainsi, sous une forme visible et tangible, l’accord parfait de la perception et de l’action. Si donc notre activité vise toujours un résultat où momentanément elle s’insère, notre perception ne doit guère retenir du monde matériel, à tout instant, qu’un état où provisoirement elle se pose. Telle est l’hypothèse qui se présente à l’esprit. Il est aisé de voir que l’expérience la confirme.

Dès le premier coup d’œil jeté sur le monde, avant même que nous y délimitions des corps, nous y distinguons des qualités. Une couleur succède à une couleur, un son à un son, une résistance à une résistance, etc. Chacune de ces qualités, prise à part, est un état qui semble persister tel quel, immobile, en attendant qu’un autre le remplace. Pourtant chacune de ces qualités se résout, à l’analyse, en un nombre énorme de mouvements élémentaires. Qu’on y voie des vibrations ou qu’on se la représente de toute autre manière, un fait est certain, c’est que toute qualité est changement. En vain d’ailleurs on cherche ici, sous le changement, la chose qui change : c’est toujours provisoirement, et pour satisfaire notre imagination, que nous attachons le mouvement à un mobile. Le mobile fuit sans cesse sous le regard de la science ; celle-ci n’a jamais affaire qu’à de la mobilité. En la plus petite fraction perceptible de seconde, dans la perception quasi instantanée d’une qualité sensible, ce peuvent être des trillions d’oscillations qui se répètent : la permanence d’une qualité sensible consiste en cette répétition de mouvements, comme de palpitations successives est faite la persistance de la vie. La première fonction de la perception