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LE DEVENIR ET LA FORME

clos, est le corps vivant ; c’est d’ailleurs pour lui que nous découpons les autres dans le tout. Or, la vie est une évolution. Nous concentrons une période de cette évolution en une vue stable que nous appelons une forme, et, quand le changement est devenu assez considérable pour vaincre l’heureuse inertie de notre perception, nous disons que le corps a changé de forme. Mais, en réalité, le corps change de forme à tout instant. Ou plutôt il n’y a pas de forme, puisque la forme est de l’immobile et que la réalité est mouvement. Ce qui est réel, c’est le changement continuel de forme : la forme n’est qu’un instantané pris sur une transition. Donc, ici encore, notre perception s’arrange pour solidifier en images discontinues la continuité fluide du réel. Quand les images successives ne diffèrent pas trop les unes des autres, nous les considérons toutes comme l’accroissement et la diminution d’une seule image moyenne, ou comme la déformation de cette image dans des sens différents. Et c’est à cette moyenne que nous pensons quand nous parlons de l’essence d’une chose, ou de la chose même.

Enfin les choses, une fois constituées, manifestent à la surface, par leurs changements de situation, les modifications profondes qui s’accomplissent au sein du Tout. Nous disons alors qu’elles agissent les unes sur les autres. Cette action nous apparaît sans doute sous forme de mouvement. Mais de la mobilité du mouvement nous détournons le plus possible notre regard : ce qui nous intéresse, c’est, comme nous le disions plus haut, le dessin immobile du mouvement plutôt que le mouvement même. S’agit-il d’un mouvement simple ? nous nous demandons il va. C’est par sa direction, c’est-à-dire par la position de son but provisoire, que nous nous le représentons à tout moment. S’agit-il d’un mouvement