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MÉCANISME ET CONCEPTUALISME

complexe ? nous voulons savoir, avant tout, ce qui se passe, ce que le mouvement fait, c’est-à-dire le résultat obtenu ou l’intention qui préside. Examinez de près ce que vous avez dans l’esprit quand vous parlez d’une action en voie d’accomplissement. L’idée du changement est là, je le veux bien, mais elle se cache dans la pénombre. En pleine lumière il y a le dessin immobile de l’acte supposé accompli. C’est par là, et par là seulement, que l’acte complexe se distingue et se définit. Nous serions fort embarrassés pour imaginer les mouvements inhérents aux actions de manger, de boire, de se battre, etc. Il nous suffit de savoir, d’une manière générale et indéterminée, que tous ces actes sont des mouvements. Une fois en règle de ce côté, nous cherchons simplement à nous représenter le plan d’ensemble de chacun de ces mouvements complexes, c’est-à-dire le dessin immobile qui les sous-tend. Ici encore la connaissance porte sur un état plutôt que sur un changement. Il en est donc de ce troisième cas comme des deux autres. Qu’il s’agisse de mouvement qualitatif ou de mouvement évolutif ou de mouvement extensif, l’esprit s’arrange pour prendre des vues stables sur l’instabilité. Et il aboutit ainsi, comme nous venons de le montrer, à trois espèces de représentations : 1º les qualités, 2º les formes ou essences, 3º les actes.

À ces trois manières de voir correspondent trois catégories de mots : les adjectifs, les substantifs et les verbes, qui sont les éléments primordiaux du langage. Adjectifs et substantifs symbolisent donc des états. Mais le verbe lui-même, si l’on s’en tient à la partie éclairée de la représentation qu’il évoque, n’exprime guère autre chose.


Que si maintenant on cherchait à caractériser avec plus de précision notre attitude naturelle vis-à-vis du devenir,