Page:Bergson - L’Évolution créatrice.djvu/381

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
363
LA SCIENCE MODERNE

pose en ces termes précis que dans des cas très simples, pour une réalité schématisée, car nous ne connaissons jamais les positions respectives des véritables éléments de la matière, à supposer qu’il y ait des éléments réels, et, même si nous les connaissions à un moment donné, le calcul de leurs positions pour un autre moment exigerait le plus souvent un effort mathématique qui passe les forces humaines. Mais il nous suffit de savoir que ces éléments pourraient être connus, que leurs positions actuelles pourraient être relevées, et qu’une intelligence surhumaine pourrait, en soumettant ces données à des opérations mathématiques, déterminer les positions des éléments à n’importe quel autre moment du temps. Cette conviction est au fond des questions que nous nous posons au sujet de la nature, et des méthodes que nous employons à les résoudre. C’est pourquoi toute loi à forme statique nous apparaît comme un acompte provisoire ou comme un point de vue particulier sur une loi dynamique qui, seule, nous donnerait la connaissance intégrale et définitive.

Concluons que notre science ne se distingue pas seulement de la science antique en ce qu’elle recherche des lois, ni même en ce que ses lois énoncent des relations entre des grandeurs. Il faut ajouter que la grandeur à laquelle nous voudrions pouvoir rapporter toutes les autres est le temps, et que la science moderne doit se définir surtout par son aspiration à prendre le temps pour variable indépendante. Mais de quel temps s’agit-il ?


Nous l’avons dit et nous ne saurions trop le répéter : la science de la matière procède comme la connaissance usuelle. Elle perfectionne cette connaissance, elle en accroît la précision et la portée, mais elle travaille dans