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DESCARTES

qui avait été essayé sur l’ancienne, de supposer tout de suite achevée notre connaissance scientifique de la nature, de l’unifier complètement, et de donner à cette unification, comme l’avaient déjà fait les Grecs, le nom de métaphysique. Ainsi, à côté de la nouvelle voie que la philosophie pouvait frayer, l’ancienne demeurait ouverte. C’était celle même où la physique marchait. Et, comme la physique ne retenait du temps que ce qui pourrait aussi bien être étalé tout d’un coup dans l’espace, la métaphysique qui s’engageait dans cette direction devait nécessairement procéder comme si le temps ne créait et n’anéantissait rien, comme si la durée n’avait pas d’efficace. Astreinte, comme la physique des modernes et la métaphysique des anciens, à la méthode cinématographique, elle aboutissait à cette conclusion, implicitement admise au départ et immanente à la méthode même : Tout est donné.

Que la métaphysique ait hésité d’abord entre les deux voies, cela ne nous paraît pas contestable. L’oscillation est visible dans le cartésianisme. D’un côté, Descartes affirme le mécanisme universel : de ce point de vue, le mouvement serait relatif[1], et comme le temps a juste autant de réalité que le mouvement, passé, présent et avenir devraient être donnés de toute éternité. Mais d’autre part (et c’est pourquoi le philosophe n’est pas allé jusqu’à ces conséquences extrêmes) Descartes croit au libre arbitre de l’homme. Il superpose au déterminisme des phénomènes physiques l’indéterminisme des actions humaines, et par conséquent au temps-longueur une durée où il y a invention, création, succession vraie. Cette durée, il l’adosse à un Dieu qui renouvelle sans cesse l’acte créateur et qui, étant ainsi tangent au temps et au devenir, les

  1. Descartes, Principes, II, 29.