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MÉCANISME ET CONCEPTUALISME

soutient, leur communique nécessairement quelque chose de son absolue réalité. Quand il se place à ce second point de vue, Descartes parle du mouvement, même spatial, comme d’un absolu[1].

Il s’est donc engagé tour à tour sur l’une et sur l’autre voies, décidé à ne suivre aucune des deux jusqu’au bout. La première l’eût conduit à la négation du libre arbitre chez l’homme et du véritable vouloir en Dieu. C’était la suppression de toute durée efficace, l’assimilation de l’univers à une chose donnée qu’une intelligence surhumaine embrasserait tout d’un coup, dans l’instantané ou dans l’éternel. En suivant la seconde, au contraire, on aboutissait à toutes les conséquences que l’intuition de la durée vraie implique. La création n’apparaissait plus simplement comme continuée, mais comme continue. L’univers, envisagé dans son ensemble, évoluait véritablement. L’avenir n’était plus déterminable en fonction du présent ; tout au plus pouvait-on dire qu’une fois réalisé il était retrouvable dans ses antécédents, comme les sons d’une nouvelle langue sont exprimables avec les lettres d’un ancien alphabet : on dilate alors la valeur des lettres, on leur attribue rétroactivement des sonorités qu’aucune combinaison des anciens sons n’aurait pu faire prévoir. Enfin l’explication mécanistique pouvait rester universelle en ce qu’elle se fût étendue à autant de systèmes qu’on aurait voulu en découper dans la continuité de l’univers ; mais le mécanisme devenait alors une méthode plutôt qu’une doctrine. Il exprimait que la science doit procéder à la manière cinématographique, que son rôle est de scander le rythme d’écoulement des choses et non pas de s’y insérer. Telles étaient les deux conceptions

  1. Ibid., II, § 36 et suiv.