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SPINOZA ET LEIBNIZ

opposées de la métaphysique qui s’offraient à la philosophie.

C’est vers la première qu’on s’orienta. La raison de ce choix est sans doute dans la tendance de l’esprit à procéder selon la méthode cinématographique, méthode si naturelle à notre intelligence, si bien ajustée aussi aux exigences de notre science, qu’il faut être deux fois sûr de son impuissance spéculative pour y renoncer en métaphysique. Mais l’influence de la philosophie ancienne y fut aussi pour quelque chose. Artistes à jamais admirables, les Grecs ont créé un type de vérité suprasensible, comme de beauté sensible, dont il est difficile de ne pas subir l’attrait. Dès qu’on incline à faire de la métaphysique une systématisation de la science, on glisse dans la direction de Platon et d’Aristote. Et, une fois entré dans la zone d’attraction où cheminent les philosophes grecs, on est entraîné dans leur orbite.

Ainsi se sont constituées les doctrines de Leibniz et de Spinoza. Nous ne méconnaissons pas les trésors d’originalité qu’elles renferment. Spinoza et Leibniz y ont versé le contenu de leur âme, riche des inventions de leur génie et des acquisitions de l’esprit moderne. Et il y a chez l’un et chez l’autre, chez Spinoza surtout, des poussées d’intuition qui font craquer le système. Mais, si l’on élimine des deux doctrines ce qui leur donne l’animation et la vie, si l’on n’en retient que l’ossature, on a devant soi l’image même qu’on obtiendrait en regardant le platonisme et l’aristotélisme à travers le mécanisme cartésien. On est en présence d’une systématisation de la physique nouvelle, systématisation construite sur le modèle de l’ancienne métaphysique.

Que pouvait être, en effet, l’unification de la physique ? L’idée inspiratrice de cette science était d’isoler, au sein