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SPINOZA ET LEIBNIZ

dans l’espace, de successif dans le temps. Dès lors on supposait donnée d’un seul coup la totalité du réel. La détermination réciproque des apparences juxtaposées dans l’espace tenait à l’indivisibilité de l’être vrai. Et le déterminisme rigoureux des phénomènes successifs dans le temps exprimait simplement que le tout de l’être est donné dans l’éternel.

La nouvelle philosophie allait donc être un recommencement, ou plutôt une transposition de l’ancienne. Celle-ci avait pris chacun des concepts en lesquels se concentre un devenir ou s’en marque l’apogée ; elle les supposait tous connus et les ramassait en un concept unique, forme des formes, idée des idées, comme le Dieu d’Aristote. Celle-là allait prendre chacune des lois qui conditionnent un devenir par rapport à d’autres et qui sont comme le substrat permanent des phénomènes ; elle les supposerait toutes connues et les ramasserait en une unité qui les exprimât, elle aussi, éminemment, mais qui, comme le Dieu d’Aristote et pour les mêmes raisons, devait rester immuablement enfermée en elle-même.

Il est vrai que ce retour à la philosophie antique n’allait pas sans de grosses difficultés. Quand un Platon, un Aristote ou un Plotin fondent tous les concepts de leur science en un seul, ils embrassent ainsi la totalité du réel, car les concepts représentent les choses mêmes et possèdent au moins autant de contenu positif qu’elles. Mais une loi, en général, n’exprime qu’un rapport, et les lois physiques en particulier ne traduisent que des relations quantitatives entre les choses concrètes. De sorte que si un philosophe moderne opère sur les lois de la nouvelle science comme la philosophie antique sur les concepts de l’ancienne, s’il fait converger sur un seul point toutes les conclusions d’une physique supposée