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MÉCANISME ET CONCEPTUALISME

tes les monades sur Dieu. Mais la pensée de Spinoza est beaucoup moins claire, et il semble que ce philosophe ait cherché à établir entre l’éternité et ce qui dure la même différence que faisait Aristote entre l’essence et les accidents : entreprise difficile entre toutes, car la ὕλη d’Aristote n’était plus là pour mesurer l’écart et expliquer le passage de l’essentiel à l’accidentel, Descartes l’ayant éliminée pour toujours. Quoi qu’il en soit, plus on approfondit la conception spinoziste de l’ « inadéquat » dans ses rapports avec l’ « adéquat », plus on se sent marcher dans la direction de l’aristotélisme, de même que les monades leibniziennes, à mesure qu’elles se dessinent plus clairement, tendent davantage à se rapprocher des Intelligibles de Plotin[1]. La pente naturelle de ces deux philosophies les ramène aux conclusions de la philosophie antique.

En résumé, les ressemblances de cette nouvelle métaphysique avec celle des anciens viennent de ce que l’une et l’autre supposent toute faite, celle-là au-dessus du sensible et celle-ci au sein du sensible lui-même, une Science une et complète, avec laquelle coïnciderait tout ce que le sensible contient de réalité. Pour l’une et pour l’autre, la réalité, comme la vérité, serait intégralement donnée dans l’éternité. L’une et l’autre répugnent à l’idée d’une réalité qui se créerait au fur et à mesure, c’est-à-dire, au fond, d’une durée absolue.

Que d’ailleurs les conclusions de cette métaphysique, issue de la science, aient rebondi jusque dans l’intérieur de la science par une espèce de ricochet, c’est ce qu’on

  1. Dans un cours sur Plotin, professé au Collège de France en 1897-1898, nous avons essayé de dégager ces ressemblances. Elles sont nombreuses et saisissantes. L’analogie se poursuit jusque dans les formules employées de part et d’autre.