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LA CRITIQUE DE KANT

telligence. Il réintégrait dans la philosophie, mais en le modifiant, en le transportant sur un autre plan, cet élément essentiel de la philosophie de Descartes qui avait été abandonné par les cartésiens.

Par là il frayait la voie à une philosophie nouvelle, qui se fût installée dans la matière extra-intellectuelle de la connaissance par un effort supérieur d’intuition. Coïncidant avec cette matière, adoptant le même rythme et le même mouvement, la conscience ne pourrait-elle pas, par deux efforts de direction inverse, se haussant et s’abaissant tour à tour, saisir du dedans et non plus apercevoir du dehors les deux formes de la réalité, corps et esprit ? Ce double effort ne nous ferait-il pas, dans la mesure du possible, revivre l’absolu ? Comme d’ailleurs, au cours de cette opération, on verrait l’intelligence surgir d’elle-même, se découper dans le tout de l’esprit, la connaissance intellectuelle apparaîtrait alors telle qu’elle est, limitée, mais non plus relative.

Telle était la direction que le kantisme pouvait montrer à un cartésianisme revivifié. Mais dans cette direction Kant lui-même ne s’engagea pas.

Il ne voulut pas s’y engager, parce que, tout en assignant à la connaissance une matière extra-intellectuelle, il croyait cette matière ou coextensive à l’intelligence, ou plus étroite que l’intelligence. Dès lors, il ne pouvait plus songer à découper l’intelligence en elle, ni par conséquent à retracer la genèse de l’entendement et de ses catégories. Les cadres de l’entendement et l’entendement lui-même devaient être acceptés tels quels, tout faits. Entre la matière présentée à notre intelligence et cette intelligence même il n’y avait aucune parenté. L’accord entre les deux venait de ce que l’intelligence imposait sa forme à la matière. De sorte que non seulement il fallait poser la