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MÉCANISME ET CONCEPTUALISME

forme intellectuelle de la connaissance comme une espèce d’absolu et renoncer à en faire la genèse, mais la matière même de cette connaissance semblait trop triturée par l’intelligence pour qu’on pût espérer l’atteindre dans sa pureté originelle. Elle n’était pas la « chose en soi », elle n’en était que la réfraction à travers notre atmosphère.

Que si maintenant on se demande pourquoi Kant n’a pas cru que la matière de notre connaissance en débordât la forme, voici ce qu’on trouve. La critique que Kant a instituée de notre connaissance de la nature a consisté à démêler ce que doit être notre esprit et ce que doit être la nature, si les prétentions de notre science sont justifiées ; mais de ces prétentions elles-mêmes Kant n’a pas fait la critique. Je veux dire qu’il a accepté sans discussion l’idée d’une science une, capable d’étreindre avec la même force toutes les parties du donné et de les coordonner en un système présentant de toutes parts une égale solidité. Il n’a pas jugé, dans sa Critique de la Raison pure, que la science devînt de moins en moins objective, de plus en plus symbolique, à mesure qu’elle allait du physique au vital, du vital au psychique. L’expérience ne se meut pas, à ses yeux, dans deux sens différents et peut-être opposés, l’un conforme à la direction de l’intelligence, l’autre contraire. Il n’y a pour lui qu’une expérience, et l’intelligence en couvre toute l’étendue. C’est ce que Kant exprime en disant que toutes nos intuitions sont sensibles, ou, en d’autres termes, infra-intellectuelles. Et c’est ce qu’il faudrait admettre, en effet, si notre science présentait dans toutes ses parties une égale objectivité. Mais supposons, au contraire, que la science soit de moins en moins objective, de plus en plus symbolique, à mesure qu’elle va du physique au psychique, en passant par le vital. Alors, comme il faut bien percevoir une chose en