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MÉCANISME ET CONCEPTUALISME

même. Les barrières s’abaissent entre la matière de la connaissance sensible et sa forme, comme aussi entre les « formes pures » de la sensibilité et les catégories de l’entendement. On voit la matière et la forme de la connaissance intellectuelle (restreinte à son objet propre) s’engendrer l’une l’autre par une adaptation réciproque, l’intelligence se modelant sur la corporéité et la corporéité sur l’intelligence.

Mais cette dualité d’intuition, Kant ne voulait ni ne pouvait l’admettre. Il eût fallu, pour l’admettre, voir dans la durée l’étoffe même de la réalité, et par conséquent distinguer entre la durée substantielle des choses et le temps éparpillé en espace. Il aurait fallu voir dans l’espace lui-même, et dans la géométrie qui lui est immanente, un terme idéal dans la direction duquel les choses matérielles se développent, mais où elles ne sont pas développées. Rien de plus contraire à la lettre, et peut-être aussi à l’esprit, de la Critique de la Raison pure. Sans doute la connaissance nous est présentée ici comme une liste toujours ouverte, l’expérience comme une poussée de faits qui se continue indéfiniment. Mais, d’après Kant, ces faits s’éparpillent au fur et à mesure sur un plan ; ils sont extérieurs les uns aux autres et extérieurs à l’esprit. D’une connaissance par le dedans, qui les saisirait dans leur jaillissement même au lieu de les prendre une fois jaillis, qui creuserait ainsi au-dessous de l’espace et du temps spatialisé, il n’est jamais question. Et pourtant c’est bien sous ce plan que notre conscience nous place ; là est la durée vraie.

De ce côté encore, Kant est assez près de ses devanciers. Entre l’intemporel et le temps éparpillé en moments distincts, il n’admet pas de milieu. Et comme il n’y a pas d’intuition qui nous transporte dans l’intemporel, toute