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LA CRITIQUE DE KANT

quelque façon pour arriver à la symboliser, il y aurait une intuition du psychique, et plus généralement du vital, que l’intelligence transposerait et traduirait sans doute, mais qui n’en dépasserait pas moins l’intelligence. Il y aurait, en d’autres termes, une intuition supra-intellectuelle. Si cette intuition existe, une prise de possession de l’esprit par lui-même est possible, et non plus seulement une connaissance extérieure et phénoménale. Bien plus : si nous avons une intuition de ce genre, je veux dire ultra-intellectuelle, l’intuition sensible est sans doute en continuité avec celle-là par certains intermédiaires, comme l’infra-rouge avec l’ultra-violet. L’intuition sensible va donc elle-même se relever. Elle n’atteindra plus simplement le fantôme d’une insaisissable chose en soi. C’est (pourvu qu’on y apporte certaines corrections indispensables) dans l’absolu encore qu’elle nous introduirait. Tant qu’on voyait en elle l’unique matière de notre science, il rejaillissait sur toute science quelque chose de la relativité qui frappe une connaissance scientifique de l’esprit ; et dès lors la perception des corps, qui est le commencement de la science des corps, apparaissait elle-même comme relative. Relative semblait donc être l’intuition sensible. Mais il n’en est plus de même si l’on fait des distinctions entre les diverses sciences, et si l’on voit dans la connaissance scientifique de l’esprit (ainsi que du vital, par conséquent) l’extension plus ou moins artificielle d’une certaine façon de connaître qui, appliquée aux corps, n’était pas du tout symbolique. Allons plus loin : s’il y a ainsi deux intuitions d’ordre différent (la seconde s’obtenant d’ailleurs par un renversement du sens de la première), et si c’est du côté de la seconde que l’intelligence se porte naturellement, il n’y a pas de différence essentielle entre l’intelligence et cette intuition