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LE TRANSFORMISME

la biologie pourrait et devrait continuer à établir entre les formes vivantes les mêmes relations que suppose aujourd’hui le transformisme, la même parenté. Il s’agirait, il est vrai, d’une parenté idéale et non plus d’une filiation matérielle. Mais, comme les données actuelles de la paléontologie subsisteraient aussi, force serait bien d’admettre encore que c’est successivement, et non pas simultanément, que sont apparues les formes entre lesquelles une parenté idéale se révèle. Or la théorie évolutioniste, dans ce qu’elle a d’important aux yeux du philosophe, n’en demande pas davantage. Elle consiste surtout à constater des relations de parenté idéale et à soutenir que, là où il y a ce rapport de filiation pour ainsi dire logique entre des formes, il y a aussi un rapport de succession chronologique entre les espèces où ces formes se matérialisent. Cette double thèse subsisterait en tout état de cause. Et, dès lors, il faudrait bien encore supposer une évolution quelque part, — soit dans une Pensée créatrice où les idées des diverses espèces se seraient engendrées les unes les autres exactement comme le transformisme veut que les espèces elles-mêmes se soient engendrées sur la terre, — soit dans un plan d’organisation vitale immanent à la nature, qui s’expliciterait peu à peu, où les rapports de filiation logique et chronologique entre les formes pures seraient précisément ceux que le transformisme nous présente comme des rapports de filiation réelle entre des individus vivants, — soit enfin dans quelque cause inconnue de la vie, qui développerait ses effets comme si les uns engendraient les autres. On aurait donc simplement transposé l’évolution. On l’aurait fait passer du visible dans l’invisible. Presque tout ce que le transformisme nous dit aujourd’hui se conserverait, quitte à s’interpréter d’une autre manière. Ne vaut-il pas mieux, dès lors, s’en tenir à la lettre du