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L’ÉVOLUTION DE LA VIE

des similitudes qui nous permettent d’anticiper sur l’avenir. Il faut donc que nous ayons fait application, consciemment ou inconsciemment, de la loi de causalité. D’ailleurs, mieux se dessine dans notre esprit l’idée de la causalité efficiente, plus la causalité efficiente prend la forme d’une causalité mécanique. Cette dernière relation, à son tour, est d’autant plus mathématique qu’elle exprime une plus rigoureuse nécessité. C’est pourquoi nous n’avons qu’à suivre la pente de notre esprit pour devenir mathématiciens. Mais, d’autre part, cette mathématique naturelle n’est que le soutien inconscient de notre habitude consciente d’enchaîner les mêmes causes aux mêmes effets ; et cette habitude elle-même a pour objet ordinaire de guider des actions inspirées par des intentions ou, ce qui revient au même, de diriger des mouvements combinés en vue de l’exécution d’un modèle : nous naissons artisans comme nous naissons géomètres, et même nous ne sommes géomètres que parce que nous sommes artisans. Ainsi l’intelligence humaine, en tant que façonnée aux exigences de l’action humaine, est une intelligence qui procède à la fois par intention et par calcul, par la coordination de moyens à une fin et par la représentation de mécanismes à formes de plus en plus géométriques. Qu’on se figure la nature comme une immense machine régie par des lois mathématiques ou qu’on y voie la réalisation d’un plan, on ne fait, dans les deux cas que suivre jusqu’au bout deux tendances de l’esprit qui sont complémentaires l’une de l’autre et qui ont leur origine dans les mêmes nécessités vitales.

C’est pourquoi le finalisme radical est tout près du mécanisme radical sur la plupart des points. L’une et l’autre doctrines répugnent à voir dans le cours des choses, ou même simplement dans le dévelop-