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L’ÉVOLUTION DE LA VIE

dans la substance vivante : telle est l’hypothèse d’Eimer, par exemple. Pour d’autres, plus fidèles à l’esprit du darwinisme, l’influence des conditions ne s’exerce que d’une manière indirecte, en favorisant, dans la concurrence vitale, ceux des représentants d’une espèce que le hasard de la naissance a mieux adaptés au milieu. En d’autres termes, les uns attribuent aux conditions extérieures une influence positive et les autres une action négative : dans la première hypothèse, cette cause susciterait des variations, dans la seconde, elle ne ferait qu’en éliminer. Mais, dans les deux cas, elle est censée déterminer un ajustement précis de l’organisme à ses conditions d’existence. Par cette adaptation commune on tentera sans doute d’expliquer mécaniquement les similitudes de structure d’où nous croyons qu’on pourrait tirer l’argument le plus redoutable contre le mécanisme. C’est pourquoi nous devons indiquer tout de suite en gros, avant de passer au détail, pourquoi les explications qu’on tirerait ici de l’ « adaptation » nous paraissent insuffisantes.

Remarquons d’abord que, des deux hypothèses que nous venons de formuler, la seconde est la seule qui ne prête pas à équivoque. L’idée darwinienne d’une adaptation s’effectuant par l’élimination automatique des inadaptés est une idée simple et claire. En revanche, et justement parce qu’elle attribue à la cause extérieure, directrice de l’évolution, une influence toute négative, elle a déjà bien de la peine à rendre compte du développement progressif et rectiligne d’appareils complexes comme ceux que nous allons examiner. Que sera-ce, quand elle voudra expliquer l’identité de structure d’organes extraordinairement compliqués sur des lignes d’évolution divergentes ? Une variation accidentelle, si minime soit-elle, implique l’action d’une foule de petites causes physiques et chimiques.