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RECHERCHE D'UN CRITERIUM

actuelle de l’être vivant. Quelle chance y aura-t-il pour que, par deux séries toutes différentes d’accidents qui s’additionnent, deux évolutions toutes différentes aboutissent à des résultats similaires ? Plus deux lignes d’évolution divergeront, moins il y aura de probabilités pour que des influences accidentelles extérieures ou des variations accidentelles internes aient déterminé sur elles la construction d’appareils identiques, surtout s’il n’y avait pas trace de ces appareils au moment où la bifurcation s’est produite. Cette similitude serait naturelle, au contraire, dans une hypothèse telle que la nôtre : on devrait retrouver, jusque dans les derniers ruisselets, quelque chose de l’impulsion reçue à la source. Le pur mécanisme serait donc réfutable, et la finalité, au sens spécial où nous l’entendons, démontrable par un certain côté, si l’on pouvait établir que la vie fabrique certains appareils identiques, par des moyens dissemblables, sur des lignes d’évolution divergentes. La force de la preuve serait d’ailleurs proportionnelle au degré d’écartement des lignes d’évolution choisies, et au degré de complexité des structures similaires qu’on trouverait sur elles.

On alléguera que la similitude de structure est due à l’identité des conditions générales où la vie a évolué. Ces conditions extérieures durables auraient imprimé la même direction aux forces constructrices de tel ou tel appareil, malgré la diversité des influences extérieures passagères et des variations accidentelles internes. — Nous n’ignorons pas, en effet, le rôle que joue le concept d'adaptation dans la science contemporaine. Certes, les biologistes n’en font pas tous le même usage. Pour quelques-uns, les conditions extérieures sont capables de causer directement la variation des organismes dans un sens défini, par les modifications physico-chimiques qu’elles déterminent