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L’ÉVOLUTION DE LA VIE

de l’effet varient avec la quantité et la qualité de la cause. Dans le second, ni la qualité ni la quantité de l’effet ne varient avec la qualité et la quantité de la cause : l’effet est invariable. Dans le troisième enfin, la quantité de l’effet dépend de la quantité de la cause, mais la cause n’influe pas sur la qualité de l’effet : plus, par l’action du ressort, le cylindre tournera longtemps, plus longue sera la portion que j’entendrai de la mélodie, mais la nature de la mélodie entendue, ou de la portion que j’en entends, ne dépend pas de l’action du ressort. En réalité, c’est dans le premier cas seulement que la cause explique son effet ; dans les deux autres, l’effet est plus ou moins donné par avance et l’antécédent invoqué en est — à des degrés divers, il est vrai — l’occasion plutôt que la cause. Or, est-ce dans le premier sens qu’on prend le mot cause quand on dit que la salure de l’eau est cause des transformations de l’Artemia, ou que le degré de température détermine la couleur et les dessins des ailes que prendra une certaine chrysalide, en devenant papillon ? Évidemment non : causalité a ici un sens intermédiaire entre ceux de déroulement et de déclanchement. C’est bien ainsi, d’ailleurs, qu’Eimer lui-même l’entend, quand il parle du caractère « kaléïdoscopique » de la variation[1], ou quand il dit que la variation de la matière organisée s’opère dans un sens défini comme, dans des directions définies, cristallise la matière inorganique[2]. Et que ce soit là un processus purement physico-chimique, c’est ce qu’on peut lui accorder, à la rigueur, quand il s’agit de changements dans la coloration de la peau. Mais si l’on étend ce mode d’explication au

  1. Eimer, Orthogenesis der Schmellerlinge, Leipzig, 1897, p. 24. Cf. Die Entstehung der Arten, p. 53.
  2. Eimer, Die Entstehung der Arten. Iena. 1888, p. 25.