Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/103

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on ne comprend que ce qu’on peut en quelque mesure réinventer. Soit dit en passant, il y a une certaine analogie entre l’art de la lecture, tel que nous venons de le définir, et l’intuition que nous recommandons au philosophe. Dans la page qu’elle a choisie du grand livre du monde, l’intuition voudrait retrouver le mouvement et le rythme de la composition, revivre l’évolution créatrice en s’y insérant sympathiquement. Mais nous avons ouvert une trop longue parenthèse. Il est temps de la fermer. Nous n’avons pas à élaborer un programme d’éducation. Nous voulions seulement signaler certaines habitudes d’esprit que nous tenons pour fâcheuses et que l’école encourage encore trop souvent en fait, quoiqu’elle les répudie en principe. Nous voulions surtout protester une fois de plus contre la substitution des concepts aux choses, et contre ce que nous appellerions la socialisation de la vérité. Elle s’imposait dans les sociétés primitives. Elle est naturelle à l’esprit humain, parce que l’esprit humain n’est pas destiné à la science pure, encore moins à la philosophie. Mais il faut réserver cette socialisation aux vérités d’ordre pratique, pour lesquelles elle est faite. Elle n’a rien à voir dans le domaine de la connaissance pure, science ou philosophie.

Nous répudions ainsi la facilité. Nous recommandons une certaine manière difficultueuse de penser. Nous prisons par-dessus tout l’effort. Comment quelques-uns ont-ils pu s’y tromper ? Nous ne dirons rien de celui qui voudrait que notre « intuition » fût instinct ou sentiment. Pas une ligne de ce que nous avons écrit ne se prête à une telle interprétation. Et dans tout ce que nous avons écrit il y a l’affirmation du contraire : notre intuition est réflexion. Mais parce que nous appelions l’attention sur la mobilité qui est au fond des choses, on a prétendu que nous encou-