Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/114

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l’être, pourquoi quelque chose ou quelqu’un existe. Peu importe la nature de ce qui est : dites que c’est matière, ou esprit, ou l’un et l’autre, ou que matière et esprit ne se suffisent pas et manifestent une Cause transcendante : de toute manière, quand on a considéré des existences, et des causes, et des causes de ces causes, on se sent entraîné dans une course à l’infini. Si l’on s’arrête, c’est pour échapper au vertige. Toujours on constate, on croit constater que la difficulté subsiste, que le problème se pose encore et ne sera jamais résolu. Il ne le sera jamais, en effet, mais il ne devrait pas être posé. Il ne se pose que si l’on se figure un néant qui précéderait l’être. On se dit : « il pourrait ne rien y avoir », et l’on s’étonne alors qu’il y ait quelque chose — ou Quelqu’un. Mais analysez cette phrase : « il pourrait ne rien y avoir ». Vous verrez que vous avez affaire à des mots, nullement à des idées, et que « rien » n’a ici aucune signification. « Rien » est un terme du langage usuel qui ne peut avoir de sens que si l’on reste sur le terrain, propre à l’homme, de l’action et de la fabrication. « Rien » désigne l’absence de ce que nous cherchons, de ce que nous désirons, de ce que nous attendons. À supposer, en effet, que l’expérience nous présentât jamais un vide absolu, il serait limité, il aurait des contours, il serait donc encore quelque chose. Mais en réalité il n’y a pas de vide. Nous ne percevons et même ne concevons que du plein. Une chose ne disparaît que parce qu’une autre l’a remplacée. Suppression signifie ainsi substitution. Seulement, nous disons « suppression » quand nous n’envisageons de la substitution qu’une de ses deux moitiés, ou plutôt de ses deux faces, celle qui nous intéresse ; nous marquons ainsi qu’il nous plaît de diriger notre attention sur l’objet qui est parti, et de la détourner de celui qui le remplace. Nous