Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/15

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notre intelligence, qui cherche partout la fixité, suppose après coup que le mouvement s’est appliqué sur cet espace (comme s’il pouvait coïncider lui mouvement, avec de l’immobilité !) et que le mobile est, tour à tour, en chacun des points de la ligne qu’il parcourt. Tout au plus peut-on dire qu’il y aurait été s’il s’était arrêté plus tôt, si nous avions fait, en vue d’un mouvement plus court, un effort tout différent. De là à ne voir dans le mouvement qu’une série de positions, il n’y a qu’un pas ; la durée du mouvement se décomposera alors en « moments » correspondant à chacune des positions. Mais les moments du temps et les positions du mobile ne sont que des instantanés pris par notre entendement sur la continuité du mouvement et de la durée. Avec ces vues juxtaposées on a un succédané pratique du temps et du mouvement qui se plie aux exigences du langage en attendant qu’il se prête à celles du calcul ; mais on n’a qu’une recomposition artificielle. Le temps et le mouvement sont autre chose[1].

Nous en dirons autant du changement. L’entendement le décompose en états successifs et distincts, censés invariables. Considère-t-on de plus près chacun de ces états, s’aperçoit-on qu’il varie, demande-t-on comment il pourrait durer s’il ne changeait pas ? Vite l’entendement le remplace par une série d’états plus courts, qui se décomposeront à leur tour s’il le faut, et ainsi de suite indéfiniment. Comment pourtant ne pas voir que l’essence de la durée est de couler, et que du stable accolé à du stable ne fera jamais rien qui dure ? Ce qui est réel, ce ne sont pas les « états », simples

  1. Si le cinématographe nous montre en mouvement, sur l’écran, les vues immobiles juxtaposées sur le film, c’est à la condition de projeter sur cet écran, pour ainsi dire, avec ces vues immobiles elles-mêmes, le mouvement qui est dans l’appareil.