Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/16

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instantanés pris par nous, encore une fois, le long du changement ; c’est au contraire le flux, c’est la continuité de transition, c’est le changement lui-même. Ce changement est indivisible, il est même substantiel. Si notre intelligence s’obstine à le juger inconsistant, à lui adjoindre je ne sais quel support, c’est qu’elle l’a remplacé par une série d’états juxtaposés ; mais cette multiplicité est artificielle, artificielle aussi l’unité qu’on y rétablit. Il n’y a ici qu’une poussée ininterrompue de changement — d’un changement toujours adhérent à lui-même dans une durée qui s’allonge sans fin.


Ces réflexions faisaient naître dans notre esprit beaucoup de doutes, en même temps que de grandes espérances. Nous nous disions que les problèmes métaphysiques avaient peut-être été mal posés, mais que, précisément pour cette raison, il n’y avait plus lieu de les croire « éternels », c’est-à-dire insolubles. La métaphysique date du jour où Zénon d’Élée signala les contradictions inhérentes au mouvement et au changement, tels que se les représente notre intelligence. À surmonter, à tourner par un travail intellectuel de plus en plus subtil ces difficultés soulevées par la représentation intellectuelle du mouvement et du changement s’employa le principal effort des philosophes anciens et modernes. C’est ainsi que la métaphysique fut conduite à chercher la réalité des choses au-dessus du temps, par-delà ce qui se meut et ce qui change, en dehors, par conséquent, de ce que nos sens et notre conscience perçoivent. Dès lors elle ne pouvait plus être qu’un arrangement plus ou moins artificiel de concepts, une construction hypothétique. Elle prétendait dépasser l’expérience ; elle ne faisait en réalité que substituer à l’expérience mouvante et pleine, susceptible d’un approfondissement croissant, grosse par là de révélations, un extrait