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VI

INTRODUCTION À LA MÉTAPHYSIQUE[1]


Si l’on compare entre elles les définitions de la métaphysique et les conceptions de l’absolu, on s’aperçoit que les philosophes s’accordent, en dépit de leurs divergences apparentes, à distinguer deux manières profondément différentes de connaître une chose. La première implique qu’on

  1. Cet essai a paru dans la Revue de métaphysique et de morale en 1903. Depuis cette époque, nous avons été amené à préciser davantage la signification des termes métaphysique et science. On est libre de donner aux mots le sens qu’on veut, quand on prend soin de le définir : rien n’empêcherait d’appeler « science » ou « philosophie » comme on l’a fait pendant longtemps, toute espèce de connaissance. On pourrait même comme nous le disions plus haut (p. 43), englober le tout dans la métaphysique. Néanmoins, il est incontestable que la connaissance appuie dans une direction bien définie quand elle dispose son objet en vue de la mesure, et qu’elle marche dans une direction différente, inverse même, quand elle se dégage de toute arrière-pensée de relation et de comparaison pour sympathiser avec la réalité. Nous avons montré que la première méthode convenait à l’étude de la matière et la seconde à celle de l’esprit, qu’il y a d’ailleurs empiètement réciproque des deux objets l’un sur l’autre et que les deux méthodes doivent s’entraider. Dans le premier cas, on a affaire au temps spatialisé et à l’espace ; dans le second, à la durée réelle. Il nous a paru de plus en plus utile, pour la clarté des idées, d’appeler « scientifique » la première connaissance, et « métaphysique » la seconde. C’est alors au compte de la métaphysique que nous porterons cette « philosophie de la science » ou « métaphysique de la science » qui habite l’esprit des grands savants, qui est immanente à leur science et qui en est souvent l’invisible inspiratrice. Dans le présent article, nous la laissions encore au compte de la science, parce qu’elle a été pratiquée, en fait, par des chercheurs qu’on s’accorde généralement à appeler « savants » plutôt que « métaphysiciens » (voir, ci-dessus, les p. 33 à 45).

    Il ne faut pas oublier, d’autre part, que le présent essai a été écrit à une époque où le criticisme de Kant et le dogmatisme de ses successeurs étaient assez généralement admis, sinon comme conclusion, au moins comme point de départ de la spéculation philosophique.