Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/232

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où elles ont conduit, la clarté d’un concept n’étant guère autre chose, alors, que l’assurance une fois contractée de le manipuler avec profit. À l’origine, plus d’une d’entre elles a dû paraître obscure, malaisément conciliable avec les concepts déjà admis dans la science, tout près de frôler l’absurdité. C’est dire que la science ne procède pas par emboîtement régulier de concepts qui seraient prédestinés à s’insérer avec précision les uns dans les autres. Les idées profondes et fécondes sont autant de prises de contact avec des courants de réalité qui ne convergent pas nécessairement sur un même point. Il est vrai que les concepts où elles se logent arrivent toujours, en arrondissant leurs angles par un frottement réciproque, à s’arranger tant bien que mal entre eux.

D’autre part, la métaphysique des modernes n’est pas faite de solutions tellement radicales qu’elles puissent aboutir à des oppositions irréductibles. Il en serait ainsi, sans doute, s’il n’y avait aucun moyen d’accepter en même temps, et sur le même terrain, la thèse et l’antithèse des antinomies. Mais philosopher consiste précisément à se placer, par un effort d’intuition, à l’intérieur de cette réalité concrète sur laquelle la Critique vient prendre du dehors les deux vues opposées, thèse et antithèse. Je n’imaginerai jamais comment du blanc et du noir s’entrepénètrent si je n’ai pas vu de gris, mais je comprends sans peine, une fois que j’ai vu le gris, comment on peut l’envisager du double point de vue du blanc et du noir. Les doctrines qui ont un fond d’intuition échappent à la critique kantienne dans l’exacte mesure où elles sont intuitives ; et ces doctrines sont le tout de la métaphysique, pourvu qu’on ne prenne pas la métaphysique figée et morte dans des thèses, mais vivante chez des philosophes. Certes, les divergences sont frappantes entre les