Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/234

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se dérobe ; car ce n’était pas une chose, mais une incitation au mouvement, et, bien qu’indéfiniment extensible, elle est la simplicité même. L’intuition métaphysique paraît être quelque chose du même genre. Ce qui fait pendant ici aux notes et documents de la composition littéraire, c’est l’ensemble des observations et des expériences recueillies par la science positive et surtout par une réflexion de l’esprit sur l’esprit. Car on n’obtient pas de la réalité une intuition, c’est-à-dire une sympathie spirituelle avec ce qu’elle a de plus intérieur, si l’on n’a pas gagné sa confiance par une longue camaraderie avec ses manifestations superficielles. Et il ne s’agit pas simplement de s’assimiler les faits marquants ; il en faut accumuler et fondre ensemble une si énorme masse qu’on soit assuré, dans cette fusion, de neutraliser les unes par les autres toutes les idées préconçues et prématurées que les observateurs ont pu déposer, à leur insu, au fond de leurs observations. Ainsi seulement se dégage la matérialité brute des faits connus. Même dans le cas simple et privilégié qui nous a servi d’exemple, même pour le contact direct du moi avec le moi, l’effort définitif d’intuition distincte serait impossible à qui n’aurait pas réuni et confronté ensemble un très grand nombre d’analyses psychologiques. Les maîtres de la philosophie moderne ont été des hommes qui s’étaient assimilé tout le matériel de la science de leur temps. Et l’éclipse partielle de la métaphysique depuis un demi-siècle a surtout pour cause l’extraordinaire difficulté que le philosophe éprouve aujourd’hui à prendre contact avec une science devenue beaucoup plus éparpillée. Mais l’intuition métaphysique, quoiqu’on n’y puisse arriver qu’à force de connaissances matérielles, est tout autre chose que le résumé ou la synthèse de ces connaissances. Elle s’en distingue comme l’impulsion