Cette conception du travail de recherche scientifique diminue singulièrement la distance entre le maître et l’apprenti. Elle ne nous permet plus de distinguer deux catégories de chercheurs, dont les uns ne seraient que des manœuvres tandis que les autres auraient pour mission d’inventer. L’invention doit être partout, jusque dans la plus humble recherche de fait, jusque dans l’expérience la plus simple. Là où il n’y a pas un effort personnel, et même original, il n’y a même pas un commencement de science. Telle est la grande maxime pédagogique qui se dégage de l’œuvre de Claude Bernard.
Aux yeux du philosophe, elle contient autre chose encore : une certaine conception de la vérité, et par conséquent une philosophie.
Quand je parle de la philosophie de Claude Bernard, je ne fais pas allusion à cette métaphysique de la vie qu’on a cru trouver dans ses écrits et qui était peut-être assez loin de sa pensée. À vrai dire, on a beaucoup discuté sur elle. Les uns, invoquant les passages où Claude Bernard critique l’hypothèse d’un « principe vital », ont prétendu qu’il ne voyait rien de plus, dans la vie, qu’un ensemble de phénomènes physiques et chimiques. Les autres, se référant à cette « idée organisatrice et créatrice » qui préside, selon l’auteur, aux phénomènes vitaux, veulent qu’il ait radicalement distingué la matière vivante de la matière brute, attribuant ainsi à la vie une cause indépendante. Selon quelques-uns, enfin, Claude Bernard aurait oscillé entre les deux conceptions, ou bien encore il serait parti de la première pour arriver progressivement à la seconde. Relisez attentivement l’œuvre du maître : vous n’y trouverez, je crois, ni cette affirmation, ni cette négation, ni cette contradiction. Certes, Claude Bernard s’est élevé bien des fois