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Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/247

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VIII

SUR LE PRAGMATISME DE WILLIAM JAMES
VÉRITÉ ET RÉALITÉ[1]


Comment parler du pragmatisme après William James ? Et que pourrions-nous en dire qui ne se trouve déjà dit, et bien mieux dit, dans le livre saisissant et charmant dont nous avons ici la traduction fidèle ? Nous nous garderions de prendre la parole, si la pensée de James n’était le plus souvent diminuée, ou altérée, ou faussée, par les interprétations qu’on en donne. Bien des idées circulent, qui risquent de s’interposer entre le lecteur et le livre, et de répandre une obscurité artificielle sur une œuvre qui est la clarté même.

On comprendrait mal le pragmatisme de James si l’on ne commençait par modifier l’idée qu’on se fait couramment de la réalité en général. On parle du « monde » ou du « cosmos » ; et ces mots, d’après leur origine, désignent quelque chose de simple, tout au moins de bien composé. On dit « l’univers », et le mot fait penser à une unification possible des choses. On peut être spiritualiste, matérialiste, panthéiste, comme on peut être indifférent à la philosophie et satisfait du sens commun : toujours on se représente

  1. Cet essai a été composé pour servir de préface à l’ouvrage de William James sur le Pragmatisme, traduit par E. Le Brun (Paris, Flammarion, 1911).