Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/269

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qu’il faut faire à Platon sa part, à Aristote la sienne, et les fondre tous deux dans une philosophie qui les dépasse l’un et l’autre. Dans l’ouvrage publié, Aristote est nettement opposé à Platon, et sa doctrine nous est présentée comme la source où doit s’alimenter toute philosophie. Enfin, la forme du manuscrit est correcte, mais impersonnelle, au lieu que le livre nous parle déjà une langue originale, mélange d’images aux couleurs très vives et d’abstractions aux contours très nets, la langue d’un philosophe qui sut à la fois peindre et sculpter. Certes, le mémoire de 1835 méritait l’éloge que M. Cousin en fit dans son rapport et le prix que l’Académie lui décerna. Personne ne contestera que ce soit un travail fort bien fait. Mais ce n’est que du travail bien fait. L’auteur est resté extérieur à l’œuvre. Il étudie, analyse et commente Aristote avec sagacité : il ne lui réinsuffle pas la vie, sans doute parce qu’il n’a pas encore lui-même une vie intérieure assez intense. C’est de 1835 à 1837, dans les deux années qui s’écoulèrent entre la rédaction du mémoire et celle du premier volume, c’est surtout de 1837 à 1846, entre la publication du premier volume et celle du second, que M. Ravaisson prit conscience de ce qu’il était, et, pour ainsi dire, se révéla à lui-même.

Nombreuses furent sans doute les excitations extérieures qui contribuèrent ici au développement des énergies latentes et à l’éveil de la personnalité. Il ne faut pas oublier que la période qui va de 1830 à 1848 fut une période de vie intellectuelle intense. La Sorbonne vibrait encore de la parole des Guizot, des Cousin, des Villemain, des Geoffroy Saint-Hilaire ; Quinet et Michelet enseignaient au Collège de France. M. Ravaisson connut la plupart d’entre eux, surtout le dernier, auquel il servit pendant quelque temps de secrétaire. Dans une lettre inédite de Michelet à Jules