Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/27

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même s’il y a eu un temps où aucune des deux n’existait effectivement : elles y étaient virtuellement. » Mais c’est que notre logique habituelle est une logique de rétrospection. Elle ne peut pas ne pas rejeter dans le passé, à l’état de possibilités ou de virtualités, les réalités actuelles, de sorte que ce qui est composé maintenant doit, à ses yeux, l’avoir été toujours. Elle n’admet pas qu’un état simple puisse, en restant ce qu’il est, devenir un état composé, uniquement parce que l’évolution aura créé des points de vue nouveaux d’où l’envisager et, par là même, des éléments multiples en lesquels l’analyser idéalement. Elle ne veut pas croire que, si ces éléments n’avaient pas surgi comme réalités, ils n’auraient pas existé antérieurement comme possibilités, la possibilité d’une chose n’étant jamais (sauf le cas où cette chose est un arrangement tout mécanique d’éléments préexistants) que le mirage, dans le passé indéfini, de la réalité une fois apparue. Si elle repousse dans le passé, sous forme de possible, ce qui surgit de réalité dans le présent, c’est justement parce qu’elle ne veut pas admettre que rien surgisse, que quelque chose se crée, que le temps soit efficace. Dans une forme ou dans une qualité nouvelles elle ne voit qu’un réarrangement de l’ancien, rien d’absolument nouveau. Toute multiplicité se résout pour elle en un nombre défini d’unités. Elle n’accepte pas l’idée d’une multiplicité indistincte et même indivisée, purement intensive ou qualitative, qui, tout en restant ce qu’elle est, comprendra un nombre indéfiniment croissant d’éléments, à mesure qu’apparaîtront dans le monde les nouveaux points de vue d’où l’envisager. Il ne s’agit certes pas de renoncer à cette logique ni de s’insurger contre elle. Mais il faut l’élargir, l’assouplir, l’adapter à une durée où la nouveauté jaillit sans cesse et où l’évolution est créatrice.