Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/282

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les faits inorganiques. Huit ans après, dans le second volume, il s’exprime encore de même au sujet des végétaux, mais des végétaux seulement ; il met déjà à part la vie animale. Enfin, dans son dernier volume, c’est la totalité des phénomènes de la vie qu’il isole nettement des faits physiques et chimiques. Plus il considère les manifestations de la vie, plus il tend à établir entre les divers ordres de faits une distinction de rang ou de valeur, et non plus seulement de complication. Or, en suivant cette direction, c’est au spiritualisme qu’on aboutit.

Claude Bernard s’exprime d’abord comme si le jeu des forces mécaniques nous fournissait tous les éléments d’une explication universelle. Mais lorsque, sortant des généralités, il s’attache à décrire plus spécialement ces phénomènes de la vie sur lesquels ses travaux ont projeté une si grande lumière, il arrive à l’hypothèse d’une « idée directrice », et même « créatrice », qui serait la cause véritable de l’organisation.

La même tendance, le même progrès s’observent, selon M. Ravaisson, chez tous ceux, philosophes ou savants, qui approfondissent la nature de la vie. On peut prévoir que, plus les sciences de la vie se développeront, plus elles sentiront la nécessité de réintégrer la pensée au sein de la nature.

Sous quelle forme, et avec quel genre d’opération ? Si la vie est une création, nous devons nous la représenter par analogie avec les créations qu’il nous est donné d’observer, c’est-à-dire avec celles que nous accomplissons nous-mêmes. Or, dans la création artistique, par exemple, il semble que les matériaux de l’œuvre, paroles et images pour le poète, formes et couleurs pour le peintre, rythmes et accords pour le musicien, viennent se ranger spontanément sous l’idée qu’ils doivent exprimer, attirés, en quelque sorte, par le