Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/283

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charme d’une idéalité supérieure. N’est-ce pas un mouvement analogue, n’est-ce pas aussi un état de fascination que nous devons attribuer aux éléments matériels quand ils s’organisent en êtres vivants ? Aux yeux de M. Ravaisson, la force originatrice de la vie était de la même nature que celle de la persuasion.

Mais d’où viennent les matériaux qui ont subi cet enchantement ? À cette question, la plus haute de toutes, M. Ravaisson répond en nous montrant dans la production originelle de la matière un mouvement inverse de celui qui s’accomplit quand la matière s’organise. Si l’organisation est comme un éveil de la matière, la matière ne peut être qu’un assoupissement de l’esprit. C’est le dernier degré, c’est l’ombre d’une existence qui s’est atténuée et, pour ainsi dire, vidée elle-même de son contenu. Si la matière est « la base de l’existence naturelle, base sur laquelle, par ce progrès continu qui est l’ordre de la nature, de degré en degré, de règne en règne, tout revient à l’unité de l’esprit », inversement nous devons nous représenter au début une distension d’esprit, une diffusion dans l’espace et le temps qui constitue la matérialité. La Pensée infinie « a annulé quelque chose de la plénitude de son être, pour en tirer, par une espèce de réveil et de résurrection, tout ce qui existe ».

Telle est la doctrine exposée dans la dernière partie du Rapport. L’univers visible nous y est présenté comme l’aspect extérieur d’une réalité qui, vue du dedans et saisie en elle-même, nous apparaîtrait comme un don gratuit, comme un grand acte de libéralité et d’amour. Nulle analyse ne donnera une idée de ces admirables pages. Vingt générations d’élèves les ont sues par cœur. Elles ont été pour beaucoup dans l’influence que le Rapport exerça sur notre philosophie universitaire, influence dont on ne peut ni déterminer les