Page:Bergson - La Pensée et le Mouvant.djvu/71

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à un autre choix, d’exister avec lui, dans le même lieu et le même temps : c’est ainsi que vingt postes d’émission différents lancent simultanément vingt concerts différents, qui coexistent sans qu’aucun d’eux mêle ses sons à la musique de l’autre, chacun étant entendu tout entier, et seul entendu, dans l’appareil qui a choisi pour la réception la longueur d’onde du poste d’émission. Mais n’insistons pas davantage sur une question que nous avons simplement rencontrée en route. Point n’est besoin d’une hypothèse sur la structure intime de la matière pour constater que les conceptions issues des perceptions, les idées générales correspondant aux propriétés et actions de la matière, ne sont possibles ou ne sont ce qu’elles sont qu’en raison de la mathématique immanente aux choses. C’est tout ce que nous voulions rappeler pour justifier une classification des idées générales qui met d’un côté le géométrique et, de l’autre, le vital, celui-ci apportant avec lui la ressemblance, celui-là l’identité.

Nous devons maintenant passer à la troisième catégorie que nous annoncions, aux idées générales créées tout entières par la spéculation et l’action humaines. L’homme est essentiellement fabricant. La nature, en lui refusant des instruments tout faits comme ceux des insectes par exemple, lui a donné l’intelligence, c’est-à-dire le pouvoir d’inventer et de construire un nombre indéfini d’outils. Or, si simple que soit la fabrication, elle se fait sur un modèle, perçu ou imaginé : réel est le genre que définit ou ce modèle lui-même ou le schéma de sa construction. Toute notre civilisation repose ainsi sur un certain nombre d’idées générales dont nous connaissons adéquatement le contenu, puisque nous l’avons fait, et dont la valeur est éminente, puisque nous ne pourrions pas vivre sans elles. La croyance à la réalité